Voici quelques extraits de ce texte suivis des commentaires de Jean de Pingon.

 

L'ancien Bâtonnier écrit:
" La Savoie est française depuis 1860. Mais, de tout temps notre province a bénéficié d'une organisation judiciaire spécifique, voulue par nos anciens princes et constamment défendue au fil des siècles."
Commentaire:
La Savoie n'a jamais été une "province", c'était un État d'Europe centrale dépendant du Saint-Empire romain germanique, berceau d'une dynastie exilée puis éteinte.
La Savoie n'a connu que des comtes puis des ducs, il n'y a jamais eu de "prince" ou de roi de Savoie. Les titres de "roi de Sicile", ou de "Sardaigne" ne concernant pas la Savoie mais sa dynastie exilée. Le duc de Savoie avait en effet jugé prudent de s'établir dans ses possessions de l'autre côté des alpes suite aux dangers que représentaient les multiples invasions françaises. La France étant le seul ennemi héréditaire de la Savoie.
Avant la création du Sénat de Savoie, il y avait dans cet État un conseil Comtal composé de hauts dignitaires savoisiens. Le Conseil comtal connu plusieurs appellations au fil du temps: Conseil suprême, Conseil souverain, Parlement, Souverain Sénat de Savoie.
En 1913 Charles Faubert, inspecteur d'Académie de Chambéry et agrégé d'histoire, écrivait dans la préface d'un manuel d'histoire de la Savoie à destination des écoles: " Dernière venue à l'unité française, la Savoie, il est inutile de le démontrer, a une originalité supérieure à celle de n'importe quelle région. Etat indépendant jusqu'à une époque que bon nombre de nos contemporains ont encore connue..."
Ainsi, 54 ans après l'annexion, on se souvenait de la Savoie comme d'un "Etat indépendant" et non pas d'une "province", ( à noter que Charles Faubert n'était pas Savoisien).

L'ancien Bâtonnier écrit:
"La loi du 18/3/1800 va néanmoins faire perdre à Chambéry son tribunal d'appel, en rattachant le département du Mont-Blanc à celui de Grenoble et le département du Léman à celui de Lyon. On a alors prétendu que cette suppression a marqué une diminution de la population de la ville de près d'un tiers."
Commentaire:
Vouloir donner à croire que la suppression de la Cour d'appel de Chambéry aurait pu engendrer la perte d'un tiers de sa population est une aimable plaisanterie. Car ce n'est pas seulement Chambéry qui a perdu près du tiers de sa population durant cette période; c'est toute la Savoie! Cela suite à l'invasion et à l'occupation de la Savoie par les troupes françaises révolutionnaires, puis impériales. Ce sont les exactions des soudards de l'envahisseur français, de ses tribunaux révolutionnaires, les réquisitions des biens et des récoltes et la mobilisation dans les troupes françaises pour les guerres révolutionnaires puis napoléoniennes qui vont laisser la Savoie exsangue.
Et l'on voudrait nous faire croire que 45 ans après cette horrible expérience française les Savoisiens se seraient jetés dans les bras de la France!

L'ancien Bâtonnier écrit:
"Une campagne va opposer les partisans de la réunion à la France et les libéraux qui ne veulent pas de l'Empire français. Il y a un parti français, alors qualifié de séparatiste, et un autre piémontais qualifié de dynastique."
Commentaire:
Le terme "réunion" utilisé ici pour qualifier l'annexion de la Savoie est impropre. En effet, la Savoie n'a pas été réunie à la France puisqu'elle n'avait jamais été unie par le passé à ce pays. La Savoie fut à plusieurs reprises annexée par la France, mais ce fut toujours par les armes. Dans de telles conditions on ne peut qualifier cette annexion de "réunion", ou de "rattachement" comme le font certains.
D'autre part, il y avait en Savoie du Nord un fort parti pour l'annexion à la Suisse et un autre parti désireux de couper les ponts avec la dynastie exilée sans pour autant se donner à la France dont le souvenir des derniers ravages et carnages en Savoie était toujours présent.
Résumer les tendances en Savoie avant l'annexion entre un parti fidèle au souverain exilé et un autre pro-français relève d'une vision réductrice de l'histoire.

L'ancien Bâtonnier écrit:
"Ainsi, il a été considéré que le Pacte d'annexion finalement approuvé à l'unanimité par le vote des 22 et 23/4 1860 (dont le résultat a été proclamé dans l'actuelle salle des audiences solennelles de la Cour) était en même temps un pacte entre les deux gouvernements et entre les deux peuples:
- un pacte entre les deux gouvernements, car l'un abandonnait à l'autre ses droits sur les territoires, objet du traité,
- mais également un pacte entre deux peuples, c'est-à-dire un accord éclairé par des pourparlers préalables, qui avaient fait du maintien de la Cour d'appel une condition essentielle de l'accord."
Commentaire:
Ici nous entrons de plain-pied dans la légende: "le pacte d'annexion approuvé à l'unanimité"!
Une "unanimité" obtenue avec plus de suffrages exprimés que d'inscrits, avec l'absence de bulletins NON dans des bureaux de vote sans isoloirs, avec l'abstention interdite, avec une occupation militaire française, avec l'instauration d'une loi d'exception française, (alors que la Savoie ne l'était pas), autorisant la déportation en Guyane, sans même un jugement pour quiconque s’élèverait publiquement contre l'annexion! C'est sûr qu'avec de telles dispositions l'annexion à la France ne pouvait qu'obtenir 99,8% des suffrages exprimés. Un chiffre qui ne dit rien d'autre que la supercherie! Tout le monde sait que les votations organisées par Napoléon III étaient ignominieusement truquées, et seule celle qui eut lieu en Savoie ne l'aurait pas été?
Lorsque le Bâtonnier évoque "un pacte entre deux peuples", il ne peut s’agir que du peuple français et du peuple souverain de la Savoie, reconnu comme tel par un décret de la Convention de la première République française. Ce décret, jamais dénoncé, établit ainsi formellement qu'il y a deux peuples sur le territoire dit français. En évoquant ces deux peuples, le peuple français et le peuple savoisien, le Bâtonnier oublie ici qu'il a traité la Savoie de "province".
Un peuple souverain ne vit pas dans une province, mais dans un État dont l'annexion n'a pas changé la nature. Aux termes du droit, la Savoie demeure un pays annexé!

L'ancien Bâtonnier écrit, en citant un de ces prédécesseurs:
" La Savoie ne s'est donnée à la France que sur la promesse et sous la condition de la conservation de ses droits acquis et spécialement de sa Cour d'Appel."
Puis il commente cette citation ainsi que d'autres:
" Nos anciens ne se sont donc pas montrés taisants. Habilement, ils ont élaboré un argumentaire qui mélange l'histoire et le droit. Il tient en un mot: la France a pris des engagements lorsque la Savoie l'a définitivement rejointe."
Commentaire:
En utilisant le terme "spécialement" et plus avant "essentiellement" l'ancien Bâtonnier voudrait donner à croire que le maintien de la Cour d'appel constituait la condition essentielle du pacte synallagmatique, (à obligations réciproques), qu'est le Traité d'annexion.
Cependant, en sus des droits acquis et du maintien de la Cour d'appel, il y avait d'autres clauses, plus importantes encore, que la France ne pouvait supprimer: les zones franches et la neutralité helvétique de la Savoie n'étant pas des moindres. La France a d'ailleurs été condamnée pour avoir supprimé des zones franches de Savoie par la Cour internationale de justice de La Haye, aujourd’hui principal organe judiciaire de l'ONU.
Quant à la neutralité de la Savoie, garantie par l’article 2 du Traité d’annexion, sa trahison lors de la première guerre mondiale permettra à la France d’éliminer les quatre cinquièmes d’une génération de Savoisiens, (proportionnellement à sa population aucun département ne connaîtra une telle perte). Au lendemain de ce génocide, à l’article 435 du Traité de Versailles, la France dénoncera la neutralité de la Savoie. Cette neutralité sera de nouveau trahie entre 1940 et 1948, période pendant laquelle le Traité d’annexion fut suspendu et la Savoie cessa d’être française pour rentrer dans ses droits.
Dans un ouvrage consacré à la question de Savoie, j'ai démontré qu'en dénonçant unilatéralement les principales clauses du Traité d'annexion la France l'avait rendu caduc. En 2012, j'ai obtenu du Secrétariat général de l'ONU qu'il refuse d'enregistrer ce Traité d'annexion alors que le Gouvernement français en avait fait la demande suite à mes révélations de 2010 relatives à son abrogation définitive.
L'existence du peuple souverain de la Savoie, le traité d'annexion abrogé et le récent refus de l'ONU de l'enregistrer; c'est cette extraordinaire situation juridique de la Savoie en tant que pays annexé qu'aurait dû évoquer l'ancien Bâtonnier de Chambéry s'il avait voulu se montrer digne de ses prédécesseurs, plutôt que d'écrire de façon péremptoire que la Savoie "a définitivement rejoint la France". S’il ne l'a pas fait, c'est qu'en cette affaire il est davantage préoccupé par le maintien de la Cour d'appel que par le sort de la Savoie. Si j’avais la dent dure et la plume acérée, j’écrirais, pour le paraphraser, que celui-ci n'a pas "habilement mélangé le droit et l'histoire", mais qu'il a, dans l'unique dessein de conserver son gagne-pain, grossièrement mélangé le mensonge et l'ignorance. Mais cela serait injuste et faux. Cet ancien Bâtonnier n’est ni menteur, ni ignorant. Il souffre simplement d’une maladie bien trop répandue en Savoie : Le syndrome savoyard. Vous savez, vous le connaissez ce syndrome ; on fait « le poing dans la poche »… et on ne le sort jamais ! On respecte les autorités, les institutions de cette France qui a massacré nos aïeux et volé notre pays pour piller ses richesses et l’emplir de ses ressortissants. Pire encore, la France, notre ennemi héréditaire, a même réussi à nous faire croire que nous étions Français !
Mon chien est un bon chien, je peux lui donner un os et le lui reprendre sans qu’il ne me morde. Dans son regard, je ne lis que l’amour et la soumission, bien que je n’aie même seulement jamais haussé la voix à son encontre. Tout est question de dressage.

 

 

Un articulet, inséré dans un article du Dauphiné Libéré, et pernicieusement intitulé "Le saviez-vous?" nous apprend que: "La Cour d'appel de Chambéry n'est pas protégée par le Traité international du rattachement de la Savoie à la France. Son maintien ne figure pas dans le document qui a été signé en 1860." L'article, en date du 16 octobre dernier et signé Sylviane Garcin était relatif à la Cour d'appel de Chambéry dont le maintien pourrait être remis en cause par le Gouvernement français.
Une première remarque: Il ne s'agit pas d'un "Traité international de rattachement", mais d'un Traité d'annexion. En effet, la Savoie n'a jamais été "attachée" à la France. Par le passé, la Savoie fut à plusieurs reprises annexée par la France, mais ce fut toujours par les armes. Tel fut le cas en 1860 où, avant et pendant le vote truqué, plusieurs dizaines de milliers de soldats français occupaient la Savoie. Dans de telles conditions, qualifier cette annexion de "rattachement", c'est participer activement du colonialisme français.
Lors de l'annexion de 1536, par François Ier, la vénérable Chambre des Comptes où résidait le Conseil de justice sédentaire fut remplacée par une nouvelle Chambre des Comptes et le Conseil ducal par un parlement. Selon l'historienne Anne Buttin, ( N°69 de la revue L'histoire en Savoie):
"Il apparaît que, dés sa création et sans doute pour lui donner plus d'éclat, le Parlement de Chambéry bénéficia d'avantages que ne possédaient pas ses semblables en France, ce qui explique sans doute la méfiance de celui de Grenoble, qui protesta hautement contre les privilèges indûment accordés à ce concurrent dangereux, et demanda vainement la fusion des deux cours."
On voit ici que les annexions, même à presque cinq siècles d'écart, se suivent et se ressemblent; en effet, si la Cour d'appel de Chambéry venait à être supprimée aujourd'hui, ce serait au seul bénéfice de celle de Grenoble.
Et pour ce qu'avance la plumitive en affirmant que le maintien de la Cour d'appel de Chambéry ne figure pas dans le document signé en 1860, c'est là une assertion mensongère de plus: Le Traité d'annexion comporte des annexes et c'est dans celles-ci que figure le maintien de la Cour d'appel de Chambéry. Je renvoie ceux qui voudront s'en assurer aisément à la lecture de l'article que l'Encyclopédie en ligne consacre à cette Cour d'appel: "Le maintien de cette cour est lié aux conditions de l'annexion de la Savoie prévues dans les accords annexes du Traité de Turin."
Même Wikipédia parle d'annexion et non pas de "rattachement", quant aux accords annexes du Traité; ils en font partie, n'en déplaise au Dauphiné, ce quotidien grenoblois qui informe si bien les Savoisiens, lesquels devraient se réjouir de voir disparaître cette cour. En effet, en la supprimant le Gouvernement français entérinera davantage la caducité du Traité d'annexion. Il l'a déjà fait en supprimant la grande zone franche, en trahissant la neutralité savoisienne, en perpétrant le génocide savoisien en 14-18 et, plus récemment, en encourageant une famille dite de Savoie à porter les titres de prince, princesse et duc de Savoie au mépris de l'article premier du Traité. Cela afin que cette famille puisse réclamer à l'Italie 260 millions d'Euros au titre du remboursement des bijoux de la couronne de Savoie: plus de 6000 diamants et autres pierres précieuses inscrits au bilan des réserves de la Banque centrale d'Italie, (actuellement au cœur d'une bataille politique). Cette "famille de Savoie" est aussi indigne de ces titres que de cet héritage et elle en fait assez preuve: Un duc qui défraye la chronique judiciaire, un prince qui joue les enseignes publicitaires et une princesse meneuse de revue aux folies bergère. Le père a roulé le nom de Savoie dans la boue et le fils l'a couvert de ridicule, (dans la presse italienne il a gagné le titre de "Prince des cornichons").
Ainsi le Traité d'annexion est-il caduc pour non respect de ses clauses. De surcroît il est abrogé aux termes du Traité de paix du 10 février 1947, la France ne l’ayant pas signifié dans les délais à l’Italie ainsi que le prescrivait ce Traité. Cela a valu, entre autres, au Gouvernement français de voir rejeter sa demande d'enregistrement du Traité d'annexion auprès du Secrétariat général de l’ONU en 2012. Mes révélations historiques et juridiques avaient motivé cette requête qui déboucha sur une cuisante déconvenue, la production d’un document falsifié n’ayant pas servi la cause française en cette affaire. Le Gouvernement français devrait garder ce genre de document à l’usage de ses valets : procureurs, préfets et journalistes, afin que, comme l’a fait la canaille plumitive du Dauphiné le 24 août dernier, ils puissent continuer à affirmer que "La loi française s’applique bien en Savoie"…

Jean de Pingon.

par Jean de Pingon.

 

Le quotidien Libération du 25 février 2017 ouvrait un débat en titrant ainsi un article: "La Savoie a-t-elle été colonisée?

Et au fait, c'est quoi la colonisation?

Cet article faisait suite à une émission de France Info où un député Dominique Bussereau, avait déclaré:  " Qu'est-ce que ça veut dire colonisation? La Savoie est arrivée dans l'ensemble français après la Réunion... Idem pour le comté de Nice. Peut-on considérer que la Savoie et le comté de Nice ont été victimes de colonisation?" Ce à quoi le journaliste Jean Michel Aphatie avait répondu: " Si vous parlez de la Savoie et du comté de Nice, ils se sont rattachés librement à la République française, c'est 1860, je crois."
Cet échange a le mérite de nous montrer que le récit national français est bien ancré dans les esprits et qu'un député français peut-être aussi ignorant pour ce qui regarde l'histoire de la Savoie qu'un journaliste de la même nationalité. Trois éminents spécialistes de la colonisation avaient été conviés pour répondre à la question posée par Libération ; Nicolas Bancel, professeur à l'Université de Lausanne; Pascal Blanchard, chercheur au CNRS; et Romain Bertrand, directeur de recherche rattaché au Ceri (Sciences-Po), tous trois  ont jugé "absurde la comparaison entre la colonisation et les territoires de Nice et de la Savoie".

 " La Savoie et le Comté de Nice ont déjà été partie prenantes du royaume de France, notamment lors du règne de Charlemagne", rappelle Pascal Blanchard. Du coup, au moment de l'annexion, "90% des Savoyards parlaient déjà français, la Savoie était économiquement et culturellement intégrée à l'espace français", abonde Nicolas Bancel." (extrait de l'article de Libération).

Ce n'est même plus du roman national, nous sommes ici en pleine fiction!

Pour rappel: à l'époque de Charlemagne le royaume de France n'existait pas, pas plus que la langue française, Charlemagne étant un empereur germain s'exprimant en francique ripuaire, un dialecte germanique, il siégeait à Oche, aujourd'hui Aachen, une ville d'Allemagne qui ne s'est jamais appelée Aix-la-Chapelle, sauf dans le récit national français et ses  manuels d'histoire de France.

" Au moment de l'annexion 90% des Savoyards parlaient déjà français" C'est exact, et à cette époque 80% des Français n'utilisaient que le patois. Il faudra attendre 1880 et l'école obligatoire de Jules Ferry pour que la France commence à parler français. La pratique de la langue française ne peut en aucun cas démontrer que l'annexion de la Savoie ne procède pas de la colonisation. Quant à l'économie de la Savoie, contrairement à ce qui est avancé, elle n'était en rien préparée à s'intégrer au marché français et à s'ouvrir à cette concurrence.

Enfin, nos historiens ne manquent pas de rappeler le fameux "référendum" de 1860 afin d'établir que la Savoie et Nice n'ont pas été colonisées, puis ils évoquent l'absence en Savoie de "massacres de grande ampleur" caractérisant la colonisation et Pascal Blanchard de conclure que " Dominique Bussereau devrait relire ses manuels d'histoire".

A mon tour d'inviter ces historiens français à émerger de leur récit national et à se pencher sur l'annexion de la Savoie, mais pas dans leurs manuels d'histoire qui ne sont, pour l'essentiel, rien d'autre que fables, mensonges et trahison de la vérité historique. Je m'en vais donc leur exposer quelques éléments d'histoire de la Savoie qui ne figurent pas dans leurs manuels.

En premier lieu, je leur fournirais les massacres qu'ils réclament; les dizaines de milliers de morts savoisiens au front des guerres où la France les entraîna au mépris du statut de neutralité de la Savoie en témoignent assez. En effet, le Traité d'annexion conservait aux Savoisiens des droits que ne possédaient pas les Français: la neutralité perpétuelle et l'exonération de taxes douanières dans une grande zone frontalière avec la Suisse. Ces franchises étaient essentielles pour cette zone, la plus dynamique de Savoie, plus tournée économiquement vers Genève que vers la France. Ces droits, consacrés en 1815 lors du Congrès de Vienne, furent confirmés par la France lors de l'annexion de 1860, entérinés par le Traité d'annexion du 24 mars 1860, puis trahis et supprimés dès que l'occasion s'en présenta.
Ce mépris des engagements est intrinsèquement lié à l'arrogance coutumière aux colonialistes triomphateurs.

Pourtant la Savoie était héritière de ces droits afférents à son histoire, une histoire millénaire qui n'a jamais participé de l'histoire française mais de celle du saint empire Romain Germanique qui l'érigea en duché au quinzième siècle. Précisons que la Savoie n'a jamais été Piémontaise, Sarde ou Italienne, il ne faut pas confondre ce pays avec les titres de sa dynastie qui s'en est exilée dès le seizième siècle.

L'annexion et la colonisation de la Savoie par la France s'est faite en deux étapes. La première, en 1792, fut une invasion armée, de nuit et sans déclaration de guerre, par les troupes révolutionnaires françaises qui investirent ce pays pour lui faire partager ses valeurs républicaines. Dans cette optique, la Convention du 27 novembre 1792 édicte que " le voeu libre et universel du peuple souverain de la Savoie est de s'incorporer à la République française." Il s'agit là du blanchiment d'une annexion par les armes qui ne sera pas acceptée par "le peuple souverain de la Savoie".
Dans le val de Thônes, ce sont plus de 4000 paysans qui vont affronter les troupes françaises au défilé de Morette. Ils cesseront le combat faute de munitions, le commandant des troupes françaises autorisa alors ses soudards à piller la vallée durant trois jours.
Si les francinades en Savoie sont moins connues que les maroquinades en Italie, c'est sans doute parce qu'elles n'ont pas encore donné prétexte à un film.
En 1815, après la défaite napoléonienne, la Savoie retrouve la liberté. Mais elle est exsangue;   les réquisitions pour soutenir les guerres menées par la République puis le Premier Empire y engendrèrent la famine. Cela ajouté aux déportations, aux exécutions sommaires et à la conscription obligatoire dans les troupes de l'occupant, entraîna la perte d'un tiers de la population. L'anéantissement d'un tiers des habitants d'un pays annexé, pourra peut-être être considéré par nos historiens français comme un "massacre"?

Bien sûr, ce qui précède n'est qu'une vision de l'histoire. Une vision forcément subjective d'un Savoisien dont l'un des aïeux, membre de la Compagnie de Manigod en 1793, eut l'insigne privilège de combattre les Républicains français à Morette. Un Savoisien qui déplore que la procession annuelle en hommage aux victimes de ces Républicains français cessa en 1941 pour être remplacée, à compter de 1946, par un hommage aux valeureux combattants français des Glières, (un glorieux combat inventé de toutes pièces), et dont le mémorial occupe aujourd'hui le site de Morette où jamais les Français ne combattirent les Allemands mais où des milliers de Savoisiens combattirent les Français jusqu'au bout!

Ceux qui ont une vision plus conforme à la doxa française de cette période de l’histoire savoisienne rejoignent celle développée dans l’ouvrage « Philibert Simond, contribution à l’histoire de la Révolution ». On y apprend que la Savoie, à l'époque révolutionnaire, s'est véritablement donnée à la France.
Une précision s'impose cependant: le Conventionnel Philibert Simond était un prêtre savoyard banni de Savoie qui devint un proche de Robespierre, il est l'un de ceux qui oeuvrèrent à cette première annexion de la Savoie. Quant à Maurice Gabolde, l'auteur de cet ouvrage; il fut Garde des Sceaux pendant le régime de Vichy, il était alors surnommé von Gabolde. Il  s'enfuira en Espagne franquiste et sera condamné à mort par contumace en 1946.

En somme, cet ouvrage publié en 2013 et portant en grande part sur l'histoire de la Savoie est celui d'un collabo sur un autre collabo.

C'est ainsi que fut le plus souvent écrite notre histoire, en particulier celle de l'annexion de 1860. Cette annexion fut la seconde étape de la colonisation de la Savoie.Par sept fois au cours de son histoire la Savoie avait été envahie et  dévastée, par sept fois elle avait retrouvé sa liberté et son autonomie. Pourtant, 45 ans après la dernière incursion française, le peuple souverain de la Savoie « plébiscita » son annexion à la France.
« Plébiscita »? il faudrait peut-être y regarder de plus près:

Lors de la consultation populaire de 1860, il y eut plus de suffrages exprimés que d'inscrits.  L'abstention était interdite, il n'y avait pas d'isoloirs dans les bureaux de vote, ce qui finalement importait peu puisqu'il n'y avait pas de bulletins NON. Une loi d'exception française, promulguée sur le territoire de la Savoie, alors que celle-ci n'était pas encore française, édictait que quiconque s'élèverait contre l'annexion à la France serait envoyé au bagne de Cayenne sans même un jugement.
Afin de veiller au bon déroulement de la consultation populaire, l'armée française entra en Savoie et y établit ses cantonnements.
Un journaliste du Times envoyé sur les lieux pour couvrir l'évènement écrivit que:
"Le plébiscite de 1860 fut la farce la plus abjecte qui ait jamais été jouée dans l'histoire des nations!"

Nul ne s'étonnera que le score pour l'annexion à la France s'établit à 99,8%. Un score qui s'inscrira dans le récit national français. 99,8%! C'est ce chiffre qui permet aujourd'hui au journaliste  Jean-Michel Aphatie, au député Dominique Bussereau, et à des historiens nationalistes, d'affirmer que "la Savoie s'est donnée à la France".

Friedrich Engels, le théoricien socialiste, connaissait bien la Savoie. Il écrivit un opuscule; (Savoyen, Nizza und der Rhein), où il établissait que les Savoisiens, comme tous les peuples victimes des invasions françaises, ne désiraient pas devenir Français, mais surtout que cette annexion comportait un grand danger car elle faisait triompher la théorie dite des frontières naturelles. Il écrivait: " mais si le bonapartisme choisit justement ce point-là (la Savoie) pour mettre en avant la demande de soi-disant frontières naturelles, sous le prétexte que la France ne peut pas faire autrement pour sa propre défense, combien plus facile il lui sera de motiver ses exigences sur le Rhin!"

Six ans après l'annexion de la Savoie, la France exigera de la Prusse, au nom du principe des frontières naturelles, une compensation territoriale sur le Rhin. Ne pouvant l'obtenir, elle lui déclara la guerre sous un prétexte futile. L'affaire se jouera en trois manches, la guerre de 1870 sera la première manche. A l'issue de cette guerre, l'Allemagne se formera en tant qu'État-nation. Les deux manches suivantes étant la première puis la seconde guerre mondiale.
Lors de la guerre de 1870, des Savoisiens furent mobilisés dans l'armée française où leurs effectifs connurent 80% de pertes, pourtant l'article second du Traité d'annexion conservait à la Savoie sa neutralité qu'elle partageait avec la Suisse.

La bataille de Sedan entraîna la chute du second Empire. En 1871, un Comité républicain, constitué en Savoie, osera demander qu'une nouvelle consultation populaire y soit organisée. La réponse ne tarda pas: Adolphe Thiers, alors président de la République française, fit envoyer en Savoie les troupes qui venaient de briser la Commune lors de la Semaine sanglante qui fit plus de victimes que la Terreur.
Tout rentra dans l'ordre en Savoie, sans  aucun "massacre", (cette précision plaira à nos historiens français).
Quelques mois après l'annexion, un décret publié le 24 octobre 1860 supprimera les écoles universitaires établies en Savoie et mettra d'office leurs enseignants à la retraite.  Cette mesure visait à assurer la colonisation du pays en interdisant l'accès à son histoire et la formation d'une élite.

Dans le même ordre d’idées, après la première guerre mondiale, les instituteurs reçurent l’ordre de brûler les manuels d’histoire de la Savoie qui y étaient encore utilisés.Lors de la première guerre mondiale, la neutralité de la Savoie fut de nouveau trahie et les Savoisiens mobilisés furent placés en première ligne. De tous les départements français, Savoie et Haute-Savoie seront ceux qui auront le plus de victimes de cette guerre, (proportionnellement à leur population). Sur 34'000 savoisiens mobilisés, plus de vingt mille morts et 8000 blessés dont beaucoup devenus grands invalides, une génération anéantie, ce qui constitue véritablement un "massacre".
Au lendemain de cette guerre, à l'article 435 du Traité de Versailles du 28 juin 1919, le Gouvernement français supprimera les zones franches de Savoie ainsi que sa neutralité.

L'affaire des zones franches sera portée par la Suisse devant la Cour Internationale de La Haye qui condamnera la France le 7 juin 1932.
La France ne tiendra pas compte de cette condamnation et rétablira ses douaniers à la frontière suisse au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ils y sont toujours, dans la plus totale illégalité. Arrogance du colonisateur!

Le 10 février 1947 fut signé à Paris un Traité de paix dont l'article 44 concernait au premier chef le Traité d'annexion de la Savoie. Aux termes de cet article, la France avait obligation de signifier ce  Traité à l'Italie dans un délai de six mois après l'entrée en vigueur du Traité du 10 février 1947, faute de quoi il serait considéré comme abrogé. La France devait ensuite faire enregistrer ce Traité auprès du Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies.
Dans la réalité des faits, la France ne pouvait pas remettre en vigueur le Traité d'annexion sans que les populations concernées ne soient de nouveau consultées. La France venait de ratifier la Charte des Nations Unies, s'engageant ainsi à ne pas transgresser l'alinéa second de son article premier : "Le respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes".

Si la France entendait conserver la Savoie, elle devait de nouveau consulter le peuple que la République française avait reconnu comme étant "le peuple souverain de la Savoie". Mais cette fois sans truquer la consultation populaire puisqu'elle se déroulerait sous le regard de l'ONU.
En 1947, la France était encore un empire colonial, elle ne pouvait se permettre de consulter un peuple qu'elle avait colonisé sans créer un précédent pour ses autres colonies. Ainsi, le Traité d'annexion de la Savoie ne fut-il pas notifié à l'Italie ni enregistré auprès du Secrétariat des Nations Unies. Arrogance du colonisateur!

En 2010, le Gouvernement français entendit fêter avec faste les 150 ans de l'annexion de la Savoie.
Le 24 mars 2010, date anniversaire du Traité d'annexion, je rendais publics des documents officiels prouvant l'absence de notification du Traité d'annexion de la Savoie à l'Italie et son absence d'enregistrement auprès de l'ONU.

Suite à mes révélations, une question fut posée à l'Assemblée nationale et Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, répondit le 15 juin 2010 que le Traité d'annexion avait bien été notifié à l'Italie et que "d'ores et déjà, toutes les dispositions utiles avaient été prises pour qu'il soit enregistré dans les meilleurs délais auprès du secrétariat de l'Organisation des Nations Unies". "Dans les meilleurs délais", 63 ans après l'obligation d'enregistrer. Arrogance du colonisateur!

L'ONU ne pouvait enregistrer le Traité d'annexion de la Savoie pour deux bonnes raisons: En premier lieu parce qu'il était établi que la France n'avait pas signifié ce Traité à l'Italie, en second lieu parce que l'ONU ne reconnaît pas les annexions.

Le 8 janvier 2012, le ministre français des affaires étrangères venait avouer devant l'Assemblée nationale que l'ONU avait refusé d'enregistrer le Traité d'annexion de la Savoie, mais que, finalement, cela n'était pas indispensable et que, ce qui importait, c'était que ce Traité avait bien été notifié à l'Italie par une note verbale. Le ministre se gardait bien de produire cette fameuse "note verbale". Arrogance du colonisateur!


Le Traité d'annexion de la Savoie est désormais officiellement abrogé.
D'autre part, l'Organisation des Nations Unies, en refusant d'enregistrer le Traité d'annexion, interdit au Gouvernement français de s'en prévaloir sur la place internationale.
Résultat: les institutions françaises n'ont plus aucune légitimité en Savoie.La question était: La Savoie a-t-elle été colonisée?
A n'en pas douter le collabo Maurice Gabolde répondrait par la négative, tout comme l'ont fait le journaliste Aphatie, le député Bussereau, puis les éminents historiens interrogés par le quotidien Libération, et pourtant, c'est incontestable: la Savoie a bien été colonisée!
Et la colonisation perdure, il n'est par exemple que de voir les agissements de la Compagnie des Alpes en Savoie, (appellation sans doute choisie en référence à la Compagnie française des Indes orientales, un puissant instrument colonialiste).

La Compagnie des Alpes, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, s'est emparée, avec sa filiale immobilière, des stations de ski de Savoie les plus performantes et colonise à présent nos montagnes pour le plus grand bonheur de la finance française.
La Savoie a-t-elle été colonisée? Seul un collaborateur de la puissance annexante pourrait aujourd'hui affirmer le contraire. Cependant une nouvelle question se pose:
Peut-on effacer la mémoire d'un peuple?

Lorsque je suis né mon pays, La Savoie, était français depuis moins d'un siècle.
A l'école je n'ai pas appris une ligne de l'histoire de ce pays millénaire. J'ai appris les noms de rois de France qui n'ont jamais régné en Savoie et l'histoire du pays qui a annexé le mien puis l'a entraîné dans ses guerres. Un jour, j'ai demandé à mon professeur d'histoire ce qu'était la Savoie avant que de devenir française, celui-ci m'avait alors répondu: "Vous étiez Italiens!" Cela m'avait semblé bizarre, mes grands-parents ne parlant pas l'italien.  
Depuis les choses ne se sont pas arrangées. La « loi Fillon », impose l’apprentissage obligatoire de la Marseillaise dans les écoles. Ainsi, l'hymne des Républicains français qui envahirent la Savoie et la saccagèrent fait-il partie depuis 2005 du programme scolaire en Savoie où la propagande française n’a cessé de s’accentuer.

Pour exemple, en Haute-Savoie, les enfants des écoles sont aujourd’hui convoyés, par cars entiers, dans ce que l'administration française appelle "des lieux de mémoire". Ces lieux "ont pour fonction d'éduquer les futurs citoyens". Les enseignants doivent motiver "ce public captif obligé de venir dans un lieu de mémoire par des professeurs".  
Ces lieux de mémoire ont été imaginés en Savoie pour effacer la mémoire du peuple savoisien et un tiers des deniers publics destinés aux "lieux de mémoire" est consacré à un "public passif", c'est à dire aux écoles. Il en est ainsi à Morette.

Ma petite fille, âgée de quatre ans, va à l'école publique de Thônes où elle n'apprendra pas qui était Marguerite Frichelet-Avet, la résistante savoisienne qui fut l'âme du combat de Morette et fut fusillée par les Français. Une rue de Thônes porte son nom, mais on ne lui parlera pas de la Frichelette dans son école. En revanche, elle apprendra la Marseillaise et sera emmenée à Morette pour écouter, sous les drapeaux français, le discours d'un homme politique, d'un militaire de carrière ou d'un grand rabbin de France qui sauront mieux que personne évoquer le glorieux combat des Glières, (qui n'a jamais eu lieu), et  lui dire toute la chance qu'elle a d'être Française.
Il en est toujours ainsi dans les pays colonisés où la puissance colonisatrice impose son récit national afin d'effacer l'histoire du pays annexé.

 

Le 18 mai 1993 Jean de Pingon organisa une manifestation sur le Pâquier d’Annecy, lieu où 200 ans auparavant fut fusillée, par la soldatesque française, la résistante savoisienne Marguerite Frichelet-Avet. Sur le plateau des Glières, les Français ont coulé le mensonge dans le béton pour aller y vomir leurs discours nationalistes, mais sur le Pâquier, ils ont refusé d’ériger une stèle à la mémoire de la pauvre Marguerite !

 Avant 1815, la neutralité suisse n'était pas respectée, ainsi en 1799 la ville de Zurich était-elle occupée par des troupes russes qu'assiégeait l'armée française. Ce sont les actes du Congrès de Vienne de 1815 qui établissent la neutralité de la Suisse et celle de la Savoie.

Le Traité de Turin du 16 mars 1816, entre la Savoie et la Suisse, consacre un échange: la Savoie cède des territoires à Genève qui devient un canton helvétique, en contrepartie, la Suisse garantit la neutralité de la Savoie qui manquait de troupes pour assurer la protection de son territoire, les ducs de Savoie ayant transféré leur capitale de Chambéry à Turin. Le Protocole du Congrès de Vienne et son corollaire le Traité de Turin stipulent qu'il s'agit bien d'un échange: La Savoie cède 24 communes à la Suisse, dont la ville de Carouge, et la neutralité de la Savoie intègre celle de la Suisse qui doit l'assurer en temps de guerre.

Le 24 mars 1860 la Savoie est annexée par la France suite à une occupation militaire de deux cent mille hommes et un vote truqué, ( pas de bulletins NON, pas d'isoloirs dans les bureaux de vote, l'abstention interdite et l'envoi au bagne de Cayenne, sans jugement, des opposants à l'annexion). Cependant la neutralité de la Savoie perdure et est consacrée par l'article 2 du Traité d'annexion, cela car la France ne peut remettre en cause les actes du Congrès de Vienne et leur corollaire. Ainsi, le 14 décembre 1883, Jules Ferry, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères de la France écrit-il à l'ambassadeur de Suisse en France:

 "... dans les études pour la mobilisation, l'État français s'est engagé à respecter complètement le territoire neutralisé, (de la Savoie)."

 La neutralité de la Savoie était une condition sine qua non de l'annexion, la Suisse devait l'assurer et la France la respecter. La Suisse et la France ne pouvaient trahir la neutralité de la Savoie sans remettre en cause l'intégrité de leurs propres territoires, soit la perte de plus du tiers de la superficie du canton de Genève pour la Suisse et la perte du territoire de la Savoie annexée pour la France.

Le 1er Août 1914 l'ordre de mobilisation générale est décrété en France.

Le 4 Août 1914, le Conseil fédéral suisse proclame sa neutralité dans une déclaration où la Suisse affirme son droit d'occuper militairement la Savoie neutralisée. Pourtant, ce n'était pas un droit, mais un devoir. Mais en faisant d'un devoir un droit, la Suisse pourra ensuite le négocier comme un bien.

 Les Savoisiens, (comme les Suisses), étaient astreints au service militaire et pouvaient être mobilisés en temps de guerre, mais ils ne devaient pas servir ailleurs que sur le territoire de la Savoie et ne pouvaient, en aucun cas, être envoyés guerroyer hors de ce territoire. Pourtant leur division, la 28ème, fut directement envoyée au front. Ils seront pris entre deux feux : l’allemand et le français. Parfois même, l'artillerie française les utilisera pour ses tirs de réglage ! Deux sur trois n’en reviendront pas.

Savoie et Haute-Savoie seront les départements de France qui auront à déplorer, proportionnellement à leur population, le plus de victimes lors de cette guerre.

C’est ainsi que la France acheva ce qu’elle avait commencé en 1860 : mettre la main sur le territoire de la Savoie puis anéantir ses forces vives afin de le conserver à jamais.

Car c’est bien d’un anéantissement concerté dont il s’agissait.

Pour une population de 503,000 habitants, la Savoie comptera 22,400 morts au combat, auxquels s’ajouteront 17,200 grands blessés dont la plupart décèdera dans les années suivant la fin de la guerre tandis que les autres souffriront jusqu’à leurs derniers jours de leurs cruelles blessures.

C’est l'anéantissement concerté de toute une génération, de tous ceux en âge de porter les armes et qui auraient certainement suivi leurs aînés qui, à compter de 1905, commençaient à remettre officiellement en cause l’annexion de la Savoie.

C’est ainsi que la France perpétra le génocide savoisien.

Selon le droit international, un génocide c’est « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe, ou d’une partie d’un groupe, en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales. »

Les Savoisiens mobilisés par la France étaient ressortissants d’un pays alpin fraîchement annexé et constituaient incontestablement une partie d’un groupe ethnique. Les avoir envoyés au front d’une guerre, alors qu’ils étaient au bénéfice d'une neutralité reconnue comme institution de droit international, dénote la volonté de les exterminer en les utilisant comme chair à canon. L’extermination de cette partie d’un groupe ethnique revêt un caractère systématique puisque la majorité des mobilisés a trouvé la mort lors de ce conflit alors que les pertes globales pour les troupes françaises n'excédèrent jamais 23% des effectifs. Il s'agit donc bien d'un génocide programmé afin d'anéantir un peuple dont la France avait illégalement annexé le territoire.

Et s’il fallait une preuve supplémentaire de ce génocide, il suffit de se reporter à l’article 435 du Traité de Versailles du 28 juin 1919. Cet article supprime la neutralité savoisienne et ses zones franches.

Et pourquoi donc avoir attendu la fin de la guerre pour officialiser cette trahison? Parce qu’il fallait avoir auparavant exterminé les Savoisiens afin que nul ne puisse la dénoncer et aussi avoir l'assentiment de la Suisse pour pouvoir la perpétrer. En effet, sans l'accord tacite de la Suisse, le génocide savoisien et la suppression de leurs droits qui le suivit n'auraient pu se réaliser. Et pour anéantir toute velléité de protestation de la part des quelques survivants, la France fit occuper la Savoie du Nord par ses troupes de goumiers marocains, mercenaires de sinistre réputation.

L'histoire se répétait: peu après l'annexion de 1860, comme à la faveur de la chute de l'Empire la Savoie du Nord commençait à remettre en cause cette annexion, Louis-Adolphe Thiers la fit occuper par des troupes qui venaient de briser la Commune à l'issue de la "Semaine sanglante". La France a toujours eu coutume de déployer en Savoie les pires de ses soudards; les hordes révolutionnaires en 1793, (3 jours de pillage dans le val de Thônes), les sanglants "Versaillais" en 1871, les goumiers marocains en 1918.

Dès le début de la guerre, les gouvernements suisse et français avaient passé un marché: La France respecterait la neutralité de la Suisse en abandonnant son premier plan d'attaque qui consistait à passer par le plateau suisse pour tourner l'armée allemande. En contrepartie, la Suisse ne bougerait pas pour faire respecter la neutralité savoisienne et, à l'issue de la guerre, la neutralité de la Suisse serait confirmée et les droits des Savoisiens abolis.

La suite montrera que ce marché, passé sur le dos des Savoisiens, fut respecté.

La Suisse n'était pas belligérante en 14-18, pourtant elle sera présente au traité de Versailles du 28 juin 1919. C'est l'article 435 de ce traité qui consacrera le pacte écrit avec le sang des Savoisiens: " Les Hautes-Parties contractantes, tout en reconnaissant les garanties stipulées en faveur de la Suisse par les traités de 1815 (...) constatent cependant que les stipulations de ces traités (...) relatifs à la zone neutralisée de la Savoie (...) ne correspondent plus aux circonstances actuelles . En conséquence, les Hautes-Parties contractantes prennent acte de l'accord intervenu entre le Gouvernement français et le Gouvernement suisse pour l'abrogation des stipulations relatives à cette zone qui sont et demeurent abrogées."

C'est ainsi que la neutralité de la Suisse fut respectée durant la première guerre mondiale et confirmée à l'issue de cette guerre pour qu'elle demeurât garantie dans le prochain conflit que quelques observateurs lucides voyaient déjà se profiler à cause du sort réservé aux vaincus.

La neutralité de la Suisse est, pour une grande part, source de sa prospérité actuelle. Genève est l'un des plus dynamiques cantons de Suisse. Que tout cela soit fondé sur une trahison n'est pour beaucoup pas même un détail de l'histoire. Pourtant, c'est un fait: le pacte franco-suisse de 1914-18, qui a assuré le respect de la neutralité suisse pendant les deux guerres mondiales, repose sur les cadavres et les souffrances de près de quarante mille Jeunes hommes de Savoie, ce pacte repose sur une génération anéantie, sur un génocide.

On ne peut conserver des traités en en supprimant les principales clauses, l'article 435 du Traité de Versailles du 28 juin 1919 a rendu caducs le Traité de Turin du 16 mars 1816 et le Traité d’annexion du 24 mars 1860. Pourtant, pour la Suisse et la France, ces traités sont toujours en vigueur et ces deux pays conservent les territoires de la Savoie tout en ayant remis en cause leurs conditions d'annexion.

C'est le vol après l'assassinat.

Mais les Savoisiens sont toujours là et ils n'ont pas oublié les trahisons et leurs aïeux exterminés par la France. Le 13 décembre dernier, l’un d’eux écrivait à Didier Burkhalter, Chef du Département fédéral des affaires étrangères, président de la Confédération Helvétique en 2014, pour lui exprimer son inquiétude quant à la conjoncture internationale et lui demander de se prononcer sur la neutralité de la Savoie.

Le 13 janvier 2016, Didier Burkhalter lui répondit: "En vertu du droit international, la Savoie fait partie de la République française, Dès lors, la Suisse ne reconnaît pas la Savoie en tant qu'État et n'est, par conséquent, pas en mesure de reconnaître la neutralité de celle-ci."

En 2012 l'ONU a refusé d'accéder à la demande du Gouvernement français qui lui demandait d'enregistrer le traité d'annexion du 24 mars 1860.

Ainsi, contrairement à ce qu'avance Monsieur Burkhalter, selon le droit international la Savoie ne fait plus partie de la République française.

C'est Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères qui, suite aux révélations de Jean de Pingon, avait été contraint d'effectuer cette demande en 2010.

Mais le Secrétariat des Nations Unies a refusé d'enregistrer ce traité désormais abrogé, la France ayant bafoué les termes du Traité de Turin du 16 mars 1816, du Traité d'annexion de la Savoie du 24 mars 1860, et du Traité de Paris du 10 février 1947 ainsi que l'expose le mémoire adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par Alain Roullier-Laurens et Jean de Pingon au lendemain de la requête française.

Bientôt la France s'écroulera et la Savoie renaîtra comme un État indépendant au cœur de l'Europe, car les Savoisiens n'ont pas oublié leur pays; ils le portent toujours en eux comme une blessure que seule sa renaissance pourra cicatriser. Aujourd'hui, ils exigent que la vérité de l'histoire soit rétablie, que le génocide savoisien soit reconnu et que la Suisse respecte les termes du Traité de Turin du 16 mars 1816 en assurant la neutralité de la Savoie en cas de conflit si elle veut conserver les acquis de ce traité.

Ce sont là les conditions pour que, lorsque la Savoie renaîtra, la communauté historique, géographique et économique des Suisses et des Savoisiens puisse devenir le ferment d'une nouvelle alliance.

 




Un panier de crabes sur la frontière !

Il y a de cela déjà vingt ans, j’avais donné une conférence à Genève, dans le cadre de l’Agedri. Le sujet en était les zones franches. La conférence terminée, elle continuait avec quelques auditeurs qui m’approchèrent pour me féliciter… et aussi, et surtout, pour me demander conseil. Je me souviens en particulier du responsable d’une grande entreprise en travaux publics qui était en train de construire le site d’Archamp, d’un directeur d’une grande surface suisse de distribution qui s’était installée en France et qui, un matin avait vu ses locaux investis par la douane… et de quelques autres encore, qui venaient chercher les munitions dont manquaient leurs conseils juridiques pour affronter les tracasseries de la douane française. Car ces gens n’étaient pas là pour l’intérêt de Genève et de sa région, ils étaient là pour leurs seuls intérêts, ils venaient chercher ce qui pourrait leur servir dans leurs transactions avec la douane française. Parmi eux, il était un auditeur que j’avais jugé particulièrement attentif durant mon exposé et qui restait silencieux. Quand tous furent partis, il m’approcha, se présenta comme l’ancien maire d’une commune de Haute-Savoie voisine de Genève, me félicita pour mon exposé, mais me fit remarquer qu’il était un sujet que je n’avais pas abordé : celui des fonds frontaliers. Selon lui l’obtention de ces fonds était directement liée aux zones franches ! Il m’expliqua que les municipalités des communes que couvraient les petites zones franches avaient, après la guerre, démissionnée afin de voir rétablir leurs droits. « Nous avons usé trois préfets ! » Me dit-il, «  Ils nous disaient que nous étions indignes d’être Français, mais nous avons tenu bon et finalement nous avons obtenu de percevoir directement les fonds frontaliers en compensation de la perte de nos avantages zoniens ».
Je ne doute pas de la véracité de cette histoire, mais ces braves Savoyards, qui avaient si durement obtenu ces fonds en sacrifiant leurs droits, se doutaient-ils qu’ils atteindraient un jour des sommes vertigineuses ? Qu’ils leur échapperaient ? Et que des partis politiques français s’en empareraient pour distribuer des prébendes à leurs affidés?
C’est aussi cela les « valeurs républicaines »… Un panier de crabes sur la frontière !